samedi 5 décembre 2009

J'ai préparé un beau voyage

J'ai préparé un beau voyage. J'en connais les détails, les dates, les adresses : la structure est sonnée comme une messe. Je reconnais déjà des yeux, une montagne, un soleil qui se lève sur une journée bien pleine. J'imagine même l'inattendu. Je dessine un rayon qui passera ici, je pourrai vous raconter que c'était joli. Je ne vous dirai pas joli, je vous dirai magnifique, sublime, je vous dirai que c'est ce rayon qui, comme une étincelle, a allumé la journée. Je rêve d'un sourire que je déchiffrerai, dans un pays dont je ne connaîtrai pas d'autre langue. Je rêve d'une chanson au bord de l'océan, d'une photo en contre-jour, la guitare au premier plan. Je noterai au crayon, à côté d'un croquis, "bleu marine", "bleu azur", "bleu turquoise", "indigo" pour me rappeler la palette merveilleuse dans laquelle l'océan choisissait ses couleurs. Qui peut parler d'un voyage au futur?

Je pense à mon retour, aussi. J'arriverai dans l'hiver français les yeux plissés par mille sourires, dans ces pays dont je ne connaissais pas d'autre langue. Je vous montrerai mes dessins, je vous parlerai de ce soir où la nuit nous avait tous surpris, de cette femme qui racontait un conte dans un dialecte que personne ne connaissait. Je ne vous parlerai pas des moments de solitude, ni de ces soirs où la nuit ne me surprenait pas car je l'attendais depuis midi. J'oublierai aussi l'absurdité de mes pas, le délaissement de mes amis et l'immobilité du soleil au dessus de ma peau cramoisie.

Je serai voyageur, explorateur, je garderai toujours une paillette au fond de l'oeil en parlant de mes plaines lointaines. Je dirai "moi, tu sais, ce n'est plus ça qui m'effraie" avec l'air de celui qui a mangé cru le ventre du dahu. Je parlerai de l'Asie à mes enfants et je les y emmènerai en leur disant que tout a changé, c'est bien dommage. Je leur dirai qu'aux Antilles le temps passe plus lentement, que le soleil monte très haut dans le ciel, si haut qu'on a l'impression qu'il n'en redescendra plus. Je dirai la même chose que tous les voyageurs: je recopierai d'ailleurs sur mon vieux Moleskine une formule d'un auteur que j'aime. Et elle me fera encore sourire quand, des années plus tard, je relirai mes notes.

Je rêve de la lune que je verrai grossir au dessus d'un village d'osier, je rêve d'une plage verte que je regarderai à m'en brûler les yeux depuis le bastingage... Et pourtant je sais bien que là n'est pas ma raison de partir. Car je m'en vais pour savoir si ce qu'on me dit est vrai: s'il est une chose qu'on apprend en voyageant et qu'on n'oublie jamais. S'il est un endroit en nous qui n'existe presque pas avant qu'on ne l'ouvre, qui se remplit de nos itinérances et ne s'en vide plus.
Je veux croire les voyageurs qui me disent de partir, je veux les croire quand ils me disent que les couleurs de leurs dessins n'ont pas su peindre celles -changeantes- de leur coeur. Je veux les suivre, aveugle, lorsqu'ils me parlent de cette lumière, cachée sous leur peau, qui ne fait que grossir et inonder leur corps au rythme de leurs pas, alors même qu'ils la croient chaque fois repue. Je veux les croire, même lorsqu'ils ne me disent rien parce qu'ils ne trouvent pas de mots. Je veux les croire parce qu'ils se trompent peut-être.

Et si je reviens inchangée, alors je vous montrerai la photo de la guitare en contre-jour et je vous parlerai de tous les bleus de l'océan, je vous dirai que l'Asie change vite mais que le temps aux Antilles semble avoir encore ralenti... Et au fond de moi ou peut-être juste là, sous ma peau, j'aurai fait un peu de place pour quelque chose qui ne sera pas venu, ou que je n'aurai pas su reconnaître, et cette place restera vide comme une déception.

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